Résistance ou résilience
Il y a quelques semaines, un vif débat enflamma brièvement la toile au sujet de
l’appropriation usurpatrice par les partisans de Donald Trump de l’action du résistant
protestant à Hitler, Dietrich Bonhoeffer, dont un biopic vient de sortir aux USA. Des
milliers de théologiens essentiellement européens et nord-américains publièrent un
manifeste pour défendre la mémoire des positions antitotalitaires de l’auteur des
fameuses lettres écrites en prison et publiées en français sous le titre « résistance et
soumission ».
Ce fait me parut une illustration exemplaire de tendances actuelles d’instrumentalisation
de symboles religieux par des mouvements populistes. Les élections américaines, de
nombreux blocages dans la gouvernance de pays occidentaux renforcent des positions
ultraconservatrices, isolationnistes, nationalistes et néolibérales qui aiment à se prêter à
ce jeu, y compris en Suisse. Ces tentatives et ces situations bloquées amenèrent
quelques internautes, chrétiens ou non, à laisser sur les réseaux dits « sociaux » des
messages comme « le temps de la résistance commence ». La polarisation des
opinions et la radicalisation se font sentir aussi dans et entre les églises sur le plan
mondial, que ce soit autour de la lutte pour le climat, la guerre contre l’Ukraine ou la
réaction complètement disproportionnée d’Israël à Gaza, au Liban, et, depuis peu, en
Syrie.
Je réfléchissais à rédiger un message de Noël qui tournerait autour de cette alternative
« résistance ou/et résilience », prônant plus un « et » qu’un « ou ». Ceci afin de rendre
justice aussi bien au courage silencieux, à la résilience des populations des pays du
Sud ou de l’est de la Méditerranée, principales victimes de ces dérèglements, et aussi
aux quelques voix à l’Ouest qui osent critiquer et dénoncer publiquement les doubles
standards d’un Occident toujours hégémonique. J’imaginais illustrer cela avec des
détails de la sculpture monumentale d’Auguste Rodin « la porte de l’Enfer » que l’on
peut voir devant le Kunsthaus de Zurich. Cette oeuvre a été conçue en parallèle aux
événements politiques qui ont bouleversé l’Europe entre 1880 et 1917, comme la
montée des nationalismes, la confiance aveugle dans les progrès scientifiques,
l’industrialisation massive et ses conséquences sociales et environnementales, le renforcement du colonialisme, la Grande Guerre… Tout ceci est d’actualité à nouveau aujourd’hui.
Qu’y a-t-il après l’enfer ? Comment passer à travers ? Comment espérer encore ?
J’en étais là dans mes sombres réflexions, lorsque survinrent les 7et 8 décembre, et l’effondrement du régime syrien. Je me suis retrouvé projeté dans le même état d’esprit que celui dans lequel j’ai vécu le 9 novembre 1989 et la Chute du Mur de Berlin : incrédulité, ébahissement, inquiétude, mutisme, larmes, de joie aussi. Sur le moment, j’’aurais voulu me métamorphoser en une mouche capable d’écouter les conversations de mes amis et connaissances au Liban et en Syrie.
Qu’est-il arrivé à l’enfer ? Comment a-t-il été retourné si facilement ? Nous qui manifestement le croyions si indéboulonnable, inévitable, irremplaçable, que n’avons-mous pas vu ? Que n’avons-nous pas cru ?
Quelques jours plus tard, je suis tombé sur ce poème de Hala Mohammad, une poétesse syrienne réfugiée à Paris depuis 2012. C’est elle qui, telle une reine-mage à la poursuite de l’étoile de Noël, me l’a réappris :
Impossible de résister, traverser la vie, ces guerres, cette injustice, sans croire à l’espoir. C’est une lanterne intérieure qui guide les mots vers le sens, et le sens vers la vérité et la vérité vers l’avenir et l’avenir est dans le coeur qui bat. Tout ça en un seul mot: l’amour.
La situation en Syrie n’est certes pas encore claire ni stable au moment d’écrire ces lignes. Mais je nous souhaite d’être touché et contaminé par cette force d’espoir en 2025.
Serge Fornerod, 18.12.2024
Président de la Fondation d’aide au protestantisme réformé FAP