Textes :  Actes 11. 7-15   Luc 24. 17-19   Jean 1. 45-46

 

Je vous propose une petite balade au travers de et entre ces textes bibliques.

Dans le contexte actuel des célébrations des 1700 ans du Concile de Nicée, je me suis intéressé à la transition entre l’Église encore fidèle au judaïsme et l’Église helléniste, entre le judaïsme messianique, le judaïsme chrétien, le judaïsme helléniste et les premiers païens convertis au christianisme. Une transformation assez rapide, avec des éléments tragiques (la destruction du temple en 70 ap. J-C et ses conséquences pour le judaïsme messianique et la communauté de Jérusalem), et spectaculaire, car elle a signifié une transculturation du christianisme, du monde de pensée juif au monde grec, puis romain. Le concile de Nicée de 325 en est l’incarnation parfaite, signifiant le passage d’une pensée théologique hébraïque ouverte au monde grec environnant à une pensée grecque hostile au judaïsme.

Plusieurs textes du NT témoignent de ce passage. Les auteurs des Évangiles placent dans la bouche de Jésus ou de Pierre des réflexions qui reflètent les discussions en cours dans leurs communautés, où ce passage s’est fait plus ou moins facilement. Quand nous lisons la Bible, nous ne lisons pas un texte tombé du ciel tout écrit, mais nous lisons aussi les premiers rédacteurs de la Bible.

Actes 11. 7-15 : Et j’entendis une voix qui me disait: Lève-toi, Pierre, tue et mange. Mais je dis: Non, Seigneur, car jamais rien de souillé ni d’impur n’est entré dans ma bouche. Et pour la seconde fois la voix se fit entendre du ciel: Ce que Dieu a déclaré pur, ne le regarde pas comme souillé. Cela arriva jusqu’à trois fois; puis tout fut retiré dans le ciel. Et voici, aussitôt trois hommes envoyés de Césarée vers moi se présentèrent devant la porte de la maison où j’étais. L’Esprit me dit de partir avec eux sans hésiter. Les six hommes que voici m’accompagnèrent, et nous entrâmes dans la maison de Corneille. Cet homme nous raconta comment il avait vu dans sa maison l’ange se présentant à lui et disant: Envoie des hommes à Joppé, et fais venir Simon, surnommé Pierre, qui te dira des choses par lesquelles tu seras sauvé, toi et toute ta maison. Lorsque je me fus mis à parler, le Saint-Esprit descendit sur eux, comme sur nous au commencement.

Un autre texte absolument célèbre évoque aussi cela, même si ce n’est pas cet élément là qui a causé la forte popularité du texte. C’est le récit d’Emmaüs en Luc 24. Je n’en retiens ici que ce qui intéresse mon propos : V. 17-19.

Il leur dit: De quoi vous entretenez-vous en marchant, pour que vous soyez tout tristes? L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit: Es-tu le seul qui, séjournant à Jérusalem ne sache pas ce qui y est arrivé ces jours-ci? – Quoi? leur dit-il. Et ils lui répondirent: Ce qui est arrivé au sujet de Jésus de Nazareth, qui était un prophète puissant en oeuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple,

Ce qui est frappant dans ces deux histoires, c’est qu’à chaque fois, ce sont des étrangers qui font avancer le schmilblick. Pierre se laisse convaincre par trois inconnus qu’il doit les suivre à Césarée, ville grecque, où une 2e pentecôte se déroule, lui prouvant le bien-fondé de s’ouvrir aux juifs hellénistes et aussi aux sympathisants grecs de la synagogue, les « craignant-Dieu ». De même, dans le récit d’Emmaüs, Cléopas (un prénom grec, cité uniquement à cet endroit dans le NT, laissant clairement entendre que la communauté à laquelle s’adresse Luc soit le connaissait, soit comportait déjà des hellénisants) prend Jésus pour un étranger, qui se met à leur expliquer comment comprendre leur propre tradition de nouvelle manière.

Et on peut aussi ajouter à la liste la réponse de Nathanaël à Philippe (Jean 1.45-46) lorsque celui-ci lui dit avoir trouvé le Messie dans la personne d’un galiléen nommé jésus :  Philippe rencontra Nathanaël, et lui dit: Nous avons trouvé celui de qui Moïse a écrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé, Jésus de Nazareth, fils de Joseph. Nathanaël lui dit: Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon? Philippe lui répondit: Viens, et vois.

Ces passages sont intéressants pour nous ici par ce qu’ils disent des conditions dans lesquelles cette transformation du type des membres des communautés chrétiennes se sont produites, et des difficultés qu’il y a eu à l’expliquer, le comprendre, le discuter et finalement le justifier. Il correspond à la victoire de la diaspora juive, directement confrontée au monde grec ambiant et donc intéressée à s’ouvrir à d’autres cercles, face aux communautés situées en Palestine. Mais cette ouverture n’allait pas de soi, loin de là ! Cette étape dans la réflexion théologique juive peut être considérée comme une ouverture interreligieuse et aussi une initiative missionnaire : il s’agissait de proposer qu’au-delà de toutes les divinités gréco-romaines offertes aux habitants de l’Empire, il y avait un Dieu suprême, un Dieu inconnu comme l’a dit Paul sur le forum d’Athènes (Actes 17.27-29), qui seul mérite d’être suivi, et qui, en ressuscitant Jésus crucifié, a accompli une révolution, car ce miracle n’a pas été réservé aux officiels et prêtres salariés de la synagogue, mais à tous, y compris aux femmes et aux non-juifs. Et elle n’est plus circonscrite à l’alliance avec le peuple juif et aux tables de la Loi transmises à Moïse, mais à l’alliance avec l’humanité conclue avec Noé (Genèse 9.11).

En même temps, si l’on admet que ces textes ont été écrit env. 50-70 ans après la crucifixion de Jésus, on doit se dire aussi que ceci s’est passé plutôt rapidement, compte tenu des conditions de l’époque. Tous les textes qui en parlent font référence à un facteur décisif dans ce processus, à un acteur, l’Esprit de Jésus. C’est lui qui fait sauter les frontières, renoncer aux traditions obsolètes, remettre en question les dogmes compris trop étroitement. Car la mission de l’Esprit n’a pas de frontières, elle est œcuménique, c’est-à-dire qu’elle touche toute la terre habitée. Dans la confession de Nicée, l’Esprit est juste mentionné en passant tout à la fin. Pourtant, c’est au nom de et esprit, de la compréhension du rôle de l’Esprit du Christ dans l’économie du salut que Nicée a été rédigé.

Chaque fois dans nos textes, c’est un inconnu, un étranger, quelqu’un en dehors du cercle, en dehors de l’alliance connue jusqu’ici, qui révèle la vraie interprétation à comprendre. On peut penser encore à la rencontre de Philippe avec l’officier éthiopien en Actes 8.26ss.

Comment appliquer cela pour nous aujourd’hui ? Qui est aujourd’hui l’étranger croyant ou non qui nous apprend à regarder autrement pour voir l’action du Christ, pour entendre la parole qui nous recentre tout en nous décentrant ?

Si je le savais définitivement, je serais certainement ailleurs aujourd’hui. Mais il y a dans ces trois histoire, Simon à Césarée, Cléopas à Emmaüs et Nathanaël en Galilée un détail intéressant. Il y a un déplacement. Physique. Géographique. Simon part soudainement et va de Jaffa à Césarée ; Cléopas et l’autre disciple s’en vont, peut-être fuyant, à Emmaüs. Et Nathanaël, malgré ses préjugés anti Nazareth, accepte l’invitation de Philippe qui lui dit : « Viens !, …. Et vois ». Il y est allé.

Je suis parti à Beyrouth pour la semaine sainte. Le premier jour, j’ai retrouvé une pasteure pour la journée, sans agenda précis sinon de se donner des nouvelles. Après avoir reçu un téléphone, elle me dit : il y a une nouvelle communauté kurde de Syrie dans tel quartier très pauvre. Ils ont un culte ce soir, je suis invitée. Tu veux venir ou tu préfères retourner à l’hôtel ? Je me suis retrouvé dans une petite salle sans fenêtre avec une centaine de femmes d’hommes et d’enfants priant et chantant en kurde avec ferveur. Tous immigrés clandestins, voire réfugiés illégaux. Des femmes semi-voilées, d’autres en jeans et t-shirt. Un pupitre, un beamer, un écran, un pasteur, une bande-son, un chœur. C’est tout. Et la cérémonie du lavage des pieds.

J’ai dû dire quelques mots bien sûr. Alors j’ai juste pensé à cela : Viens et vois ! Viens voir non seulement ce que je vis, non seulement ce à quoi j’ai échappé et j’échappe jour après jour (arrestation, précarité, faim…) mais viens voir avec mes yeux. Mets-toi à ma place dans ma vie et regarde ce que je vois.

Cette expérience m’a conforté dans cette conviction que c’est le dehors qui nous révèle le cœur du dedans. Et que l’Église, chacun de nous autres, est appelé à voir le monde avec les yeux de Dieu : Viens et vois ! Moltmann disait souvent qu’il voulait regarder le monde avec les yeux du ressuscité.

L’autre jour, j’ai pu assister à une conférence du COE sur le 140e anniversaire de la Conférence de Berlin, lorsque les puissances occidentales, à l’invitation du roi Léopold de Belgique et de l’empereur Bismarck se réunirent à Berlin pour se partager pacifiquement l Afrique plutôt que de se faire la guerre, et interrompre les transports d’esclaves par la mer pour le remplacer par l’esclavage sur leur propre territoire. Plusieurs voix ont rappelé comment le racisme contre les noirs est intrinsèquement lié au colonialisme jusqu’à aujourd’hui, et invité à changer de regard, à savoir voir le monde, l’occident, le capitalisme au travers les regards des noirs exploités, massacrés,  … « Viens et vois ».

Viens et vois : les premiers chrétiens l’ont fait : Le texte des Actes nous dit que Pierre avait tout à coup vu que ces grecs étaient des croyants aussi vrais que lui. Que ces kurdes, ces noirs, ces orthodoxes avaient eux aussi la conviction que l’esprit de Jésus les avait guidés jusqu’à nous, et nous jusqu’à eux.

Il faut manifestement que la parole de Dieu vienne de l’extérieur des traditions pour les bien comprendre dans un nouveau contexte. La mission vient des marges, dit la conférence missionnaire mondiale du COE en 2012.C’est l’étranger, l’extérieur, l’inconnu qui nous appelle à notre mission et nous la rappelle. La mission de Dieu est plus grande que l’institution Eglise. Elle a une Église comme instrument. Mais l’Eglise n’a pas de mission divine.

L’Esprit de Dieu est juif, palestinien, noir, kurde. Il est toujours ailleurs. Il s’adresse à nous depuis la Syrie, le Portugal. A chaque inculturation, il y a un saut dans l’étranger, l’inconnu, le différent. C’est comme un saut. Pour apprendre à nager, il faut sauter dans l’eau. Ou en tout cas y entrer. Parce qu’on a confiance dans le fait que ce bain nous portera.

Pour clore cette réflexion, je vous propose un autre décentrement. Parmi les langages et les grammaires étrangers au langage biblique classique qui souvent nous ouvrent à une découverte pertinente théologiquement, sans que cela soit toujours voulu, explicite, il y l’art. Peinture, sculpture, musique. Le profil spirituel de l’artiste, sa biographie font qu’il transporte dans ses œuvres des messages ou des expressions qui peuvent s’appliquer aussi bien à des expériences très humaines, romantiques, qu’à des expressions qui vont au-delà et convoquent une dimension transcendantale.

C’est je crois le cas ici avec cette chanson d’un groupe de folk-rock anglais qui m’était inconnu, Mumford and sons. Le leader de ce groupe Marcus Mumford est le fils d’un pasteur qui a créé la Vineyard Church en Grande Bretagne et Irlande. Et cela s’entend dans plusieurs de ces textes qu’on peut lire à plusieurs niveaux.

 

Mumford & Sons

Malibu (2025)

In all my doubt
In all my weakness
Can you lead?
I fall behind
But like you promise
You wait for me

And I feel a spirit move in me again
I know it’s the same spirit that still moves in you
I don’t know how it took so long to shed this skin
Live under the shadow of your wings

You are all I want
You’re all I need
I’ll find peace beneath the shadow of your wings

I’m still afraid
I said too much
Or not enough
You’d only see
The ghost still rising
A broken touch

But walking through the valley was what brought me here
I knew I would never make it on my own
And I don’t know how it took so long to shed this skin
Live under the shadow of your wings

You are all I want
You’re all I need
And I’ll find peace beneath the shadow of your wings

Walking through the valley was what brought me here
You are all I want
You’re all I need
And I’ll find peace beneath the shadow of your wings.